Ils roulent à droite, à gauche, selon les obstacles rencontrés. Ils vont le plus vite possible, mais, si vite qu'ils aillent, il y en a une qui les précède sur le chemin, il y en a une qui va d'un pas pressé, si pressé qu'ils ne peuvent la rejoindre quand bien même ils iraient à la vitesse de la lumière. Celle-là est plus rapide que la lumière, celle-là est comme l'ombre - depuis toujours arrivée. Elle entre une demie heure avant eux dans l'hôpital. Elle ne demande pas son chemin, elle sait le numéro de la chambre, d'ailleurs elle est attendue, elle traverse les couloirs, frôle un brancardier, on ne la remarque pas et pourtant chacun s'écarte imperceptiblement à son passage, les rires se font moins fort, les paroles s'éteignent une seconde, juste une seconde, voilà, elle est arrivée. Elle entre sans frapper, jette un coup d'oeil sur la petite fille en train de lire, sourit devant tellement d'enfance, se tourne vers l'autre lit, dévisage celle qui la reconnait, et elle se met au travail, elle donne la dernière touche à son chef d'oeuvre. Elle a modelé le visage d'Eglantine depuis tant d'années, presque un siècle, ravinant la peau desous les yeux, usant légèrement la commissure des lèvres, blanchissant un à un les cheveux, maintenant elle n'a plus grand chose à faire, un détail, une ultime retouche, enlever son manteau noir, le faire passer devant les yeux d'Eglantine, jetre une encre noire dans l'infini du regard, une goutte d'ombre dans la prunelle des yeux et attendre : le regard s'obscurcit, la ténèbre serpente dans les veines, cisaille le souffle, arrive au coeur qu'elle mord d'un seul coup, voilà, du bon travail, pas un cri, pas un mot.