Celui qui est sans argent manque de tout. Celui qui est sans lecture manque du manque. La muraille entre les riches et les pauvres est visible (...) Il y a les riches qui ne touchent aucun livre. Il y a des pauvres qui sont mangés par la passion de lire. Où sont les pauvres, où sont les riches. Où sont les morts, où sont les vivants. C'est impossible de dire. Ceux qui ne lisent jamais forment un peuple taciturne. Les objets leurs tiennent lieu de mots : les voitures avec sièges en cuir quand il y a de l'argent, les bibelots sur les napperons quand il n'y en a pas. Dans la lecture on quitte sa vie, on l'échange contre l'esprit du songe, la flamme du vent. Une vie sans lecture est une vie que l'on ne quitte jamais, une vie entassée, étouffée de tout ce qu'elle retient comme dans ces histoires du journal, quand on force les portes d'une maison envahie jusqu'aux plafonds par les ordures. Il y a la main blanche de ceux qui ont pour eux l'argent. Il y a la main fine de ceux qui ont pour eux le songe. Et il y a tous ceux qui n'ont pas de main - privés d'or, privés d'encre. C'est pour ça qu'on écrit. Ce n'est peut-être que pour ça, et quand c'est pour autre chose, c'est sans intérêt : pour aller des uns vers les autres. Pour en finir avec le morcellement du monde (...) Pour offrir un livre à ceux qui ne liront jamais.