Et l'enfant grandit. Il grandit comme grandissent les enfants : comme un arbre, plongeant les racines de ses bras dans la terre maternelle, puisant sa nourriture dans les sous-bois d'une parole, multipliant les attaches, élevant les branches de ses pensées dans la lumière du dehors. L'enfance est ce qui nourrit la vie.
Qu'est-ce qui nourrit l'enfance ? Les parents et l'entourage, pour une part. Les lieux, la magie des lieux pour une autre part. Et Dieu pour le reste qui est presque tout. Moins le Dieu de la Bible, un Dieu jardinier, bâtisseur, que le Dieu imprévoyant des pluies d'été et des premiers chagrins, le Dieu braconnier du temps qui passe. Un Dieu comme une mère un peu folle, un Dieu comme une mère qui donnerait dans le même geste une caresse et une gifle. Ce Dieu-là est le premier rencontré dans la vie, avant l'autre, bien
avant l'autre. C'est le même en plus vrai, en plus proche. On peut négocier avec le Dieu de la Bible. On peut faire des affaires avec lui, engager des pourparlers, rompre et reprendre. On peut même lutter avec lui en pariant sur sa faiblesse. Mais avec le Dieu nourricier de l'enfance, on ne peut rien. Il est la part non maîtrisée de l'enfance, la part non décidée de l'éducation – et c'est la part de l'infini. Il n'y a pas à croire en lui. Croire c'est donner son cœur. Ce Dieu des heures simples a pris le cœur de l'enfant au berceau. Il en joue à son gré. C'est une chose difficile
à comprendre, au vingtième siècle comme au treizième siècle. Au vingtième parce qu'on fait de l'enfant un roi. Au treizième parce qu'on en fait une ombre. Ici trop de puissance, là trop de néant. Petits enfants du vingtième siècle, vos parents sont fatigués. Ils ne croient plus en rien. Ils vous demandent de les porter sur vos épaules, de leur donner cœur et force. Petits enfants des temps modernes, vous êtes des rois dans un désert. Petits enfants du treizième siècle, on vous accorde peu d'importance. Vous êtes comme un troupeau parfois transi de fièvre, clairsemé par les guerres, les famines ou la peste.