Ils dépensent leur temps sans compter. Ils croient travailler quand ils ne font que jouir. Ils croient jouir quand ils ne font qu’obéir leur rang. Ils sont fiers de cette servitude. Ils imaginent que, sans eux, il n’y aurait plus de richesse, plus de pain ni de sens, plus aucune merveille sur la terre. Dans un sens ils ont raison. Dans un sens ils sont nécessaires à l’état des choses. Ils sont là, préposés à l’argent, comme, dans certaines tribus, ces personnages intouchables voués au commerce des morts. Ils sont là comme des éboueurs de l’argent, comme des esclaves d’un nouveau genre, des esclaves millionnaires. Ils ordonnent, ils décident, ils tranchent. Ils parlent beaucoup. La parole est leur matière première. Ils parlent beaucoup mais ce n’est jamais une parole personnelle. Ils parlent suivant ce qu’ils font, suivant une idée générale de ce qu’il y a à faire dans la vie, une idée apprise. Ce sont les hommes du sérieux, les hommes sans ombre. L’éclat de l’argent égalise leurs traits. On dirait le même homme à chaque fois, la même absence hautaine, la même ruine de toute aventure personnelle, singulière.
(Celui qui ne dort jamais)