Isabelle est en miettes dans son sommeil. Elle est éparpillée en dizaine d'Isabelle qui marchent dans le noir, le long des rues de Bruges, ce qui fait qu'au réveil elle n'ouvre pas tout de suite les yeux : elle essaie d'abord de réunir ces filles qui lui ressemblent. Voyons. Il y a celle qui amène Anne au cinéma, et celle qui assiste à la baignade d'Adrien. Celle qui chante au fond du bus, le premier jour de l'école. (...) Il y a encore celle qui tremble de frayeur devant son premier dessin animé (...) Et celle qui gagne un lapin nain à la fête, qu'elle emporte, triomphante, à la mère alitée depuis trois jours. Celle-là, c'est l'Isabelle préférée d'Isabelle, celle qui fait venir un sourire aux lèvres de la mère, un vrai sourire, un sourire sans douleur par dessous, une joie simple devant le lapin affolé, sous les draps, la lumière éternelle d'une mère enfin comme toutes les autres. Et d'autres Isabelle, de tous âges, de toutes robes. Il en manque une pour bien ouvrir les yeux.
Le bruit de la pluie au dehors la ramène : il manquait celle qui court sur l'autoroute, les yeux humides et l'âme sèche, désespérément sèche.