Mon père a séjourné un an dans une de ces maisons digne de figurer au patrimoine de l'inhumanité. Jamais son visage ne s'est éteint. Je ne crois pas à ce qu'on dit : Ils ne nous reconnaissent plus. Reconnaître c'est aimer, et aimer c'est sauvage, indicible. Quand mon père ne savait plus rien de moi, il savait encore qui j'étais, je le sentais, je l'éprouvais et ce qu'on éprouve est plus grand que tout ce que nous dit la science. Ne trouvant plus les prénoms, il rusait. Interrogé sur moi il répondait : c'est celui qu'on oublie pas, et sur ma mère : c'est la meilleure. Ces oublieux n'oublient rien d'essentiel. C'est ce qui les distingue de nous.