Qu'est-ce qu'il cherche, Perceval. Il ne le sait même pas, il ne l'a jamais su, il prend à peine le temps de dormir dans des châteaux déserts à son réveil, il va d'une aventure à l'autre et puis un jour il trouve : une oie cendrée passe au ciel gris, la flèche d'un chasseur l'atteint sous une aile, trois gouttes de sang tombent sur la neige. Perceval descend de cheval, s'approche et se penche, regarde les trois taches de sang rouge sur la neige blanche. Regarde et regarde. Des heures et des heures. Dans leur forme, dans leur teinte, dans le jeu entre elles, les trois gouttes de sang lui disent quelque chose, lui rappellent le visage d'une jeune femme, lui révèlent combien il a aimé ce visage en le voyant, combien grande était son ignorance de l'amour qui venait, à l'instant même où il venait, de ce visage sur fond d'enfance, sur toile de neige.
[…]
La poésie commence là, dans ce chapitre, vers cette fin du douzième siècle, sur cinquante centimètres de neige, quatre phrases, trois gouttes de sang. La poésie, la fin de toutes fatigues, la rose d'amour dans les neiges de la langue, la fleur de l'âme au fil des lèvres. C'est dans ce siècle, dans cette furie des affaires, des dettes de sang et des guerres d'honneur, que les troubadours prennent le nom d'une femme entre leurs dents et laissent monter leur chant, une flamme bleue dans le ciel franc.