Tuer sans être tué, gagner sans perdre : ces deux occupations dominent la vie. Le lien amoureux n'en est qu'une variante. Le lien amoureux est lien de guerre et de commerce entre les sexes. Ou plus exactement : il n'y a pas de liens amoureux parce qu'il n'y a pas d'amour. Il n'y a pas d'amour parce qu'il n'y a que de l'amertume - amertume de n'être pas tout au monde, amertume également partagée par l'empereur, le pape et tous leurs sujets. Moi dit l'empereur. Moi dit le pape, Moi dit l'enfant en bas âge. Et les trois, l'empereur, le pape et le nourrisson, de se battre à mort autour du même tas de sable. (…) Par nature l'amour n'existe pas-juste une eeau trouble dans un miroir, l'alliance momentanée de deux intérêts, un mélange de guerre et de commerce. Ce qui est naturel c'est cette manière d'aimer qui vous ressemble et vous flatte- les amis accueillants, les dames parfumées. Ce qui est surnaturel c'est d'entrer dans la léproserie d'Assise, passer une salle après l'autre, aller d'un pas de paysan, calme soudain, tranquille soudain, voir s'avancer vers vous ces guenilles de chair, ces mains crasseuses qui se posent sur vos épaules, palpent votre visage, contempler les fantômes et les serrer contre soi, longtemps, en silence, bien évidement en silence : on ne va pas leur parler de Dieu à ceux-là. Ils sont de l'autre côté du monde, interdits du plaisir des vivants comme du repos des morts. Ils en savent assez long sur le monde pour comprendre d'où vient ce geste du jeune homme, pour comprendre qu'il ne vient pas de lui mais de Dieu : seul le Très-Bas peut s'incliner aussi profondément avec autant de simple grâce.