C'est une jeune exilée qui m'a parlé de vous. Elle tremblait dans le jardin, sa robe déchirée comme si elle avait traversé des barbelés, couru jusqu'à s'arrêter là, devant le pommier, à bout de souffle. Une fleur d'églantier ─ c'est ce qu'elle était mais elle m'apparut comme une reine perdue, la déesse du bref, si présente à elle-même et au monde qu'elle en devenait invisible. Elle baignait dans l'infini comme en témoignait le rose timide du bord de ses pétales, du tour de son jupon. Elle entrait en moi par ce qu'elle avait de blessé. Elle me parlait de toutes les déchirures du monde, d'une voix si radieuse que le ciel s'étonnait. Une fêlure rose dans le marbre du temps. Les jours ont passé. Elle a disparu, la petite mendiante de Lewis Caroll. Elle a disparu, mais pas sa vibration rose qui enflammait la nuit du monde. J'avais vu cette fleur et parce que je l'avais aimée, les enfers ne la prendraient pas. Vous savez, ce silence massif des enfers, ce rosier dont les roses sont de marbre et de cris étouffés. Dans le ghetto de Lodz je m'en veux de n'avoir pas entendu vos cris d'enfants détruits. Maintenant je saurais les reconnaître. Maintenant qu'une fleur d'églantier m'a appris la langue des absents, et que personne ne manque.