Je suivais le cortège funéraire de mon dernier manuscrit. Le chemin était en pente, les cailloux rissolaient. Nous allions de l'été à l'automne comme on passe sans s'en rendre compte une frontière. Non : plutôt comme on marche sans les connaître sur d'anciennes tranchées. Le sol était rempli de guerres et mon coeur était en paix. Je suivais le corbillard invisible de mon manuscrit. Je l'avais relu la veille et, comment dire : c'était comme si j'avais regardé passer sur le fleuve de papier des troncs d'arbres flottant, s'entassant et ne bougeant plus. Mes mots ne donnaient qu'une lumière morte. J'ai ramassé les feuillets, tout jeté. C'est ce cortège que je suivais le lendemain. Les funérailles de mes trouvailles. L'enterrement se terminait au bout du chemin, près de la voiture qui mangeait son foin. Je suis rentré dans la maison où mon enfance m'attendait. Je me suis trouvé devant moi-même à huit ans. Je me suis donné un feutre. Tiens, écris, moi je vais me promener. Je reviendrai te voir quand tu auras fini. L'enfant-moi a souri puis il a plongé la tête, sa grosse tête butée, granitique, picorée de flammes, dans le papier blanc. Je suis sorti. Il m'a semblé qu'il écrivait des lettres. Il ne sait écrire que ça. Sa vie n'est rien qu'écrire. Le panda mange de l'eucalyptus, et lui de l'encre.