Le visage des morts, brillant dans nos coeurs comme une image dans l'ovale d'un médaillon, est la plus belle nourriture qui soit pour la pensée : nous savons bien que les morts sont hors de notre portée. Notre pensée, quand elle s'élève vers eux comme le tournesol vers un soleil étrange, est absolument dépourvue d'avidité et rien ne la gêne dans son travail d'adoration. L'amour des morts est le plus lumineux qui soit. Pourquoi n'aimerions-nous pas les vivants comme nous aimons, avec une justesse instinctive, ceux dont la voix ne se fera plus jamais entendre sur terre ? Contempler sans saisir et même sans comprendre : les moineaux, autant que les morts, nous y invitent par leurs chants. Il y a sous ma fenêtre, dans les bras innombrables du tilleul, une multitude de Bach et de Schubert dont les oeuvres non écrites m'instruisent sur ce qu'est Dieu, du côté de la vie où je suis. Pour connaître l'autre côté, il me faudra, un jour, écarter le rideau de mon sang qui m'empêche de voir.