Un écrivain yougoslave - Velibor čolić - il dit ce qu’il voit c’est aussi simple que ça. Tu lis :
Le tzigane Ibro gagnait sa vie en revendant de vieux papiers et des bouteilles vides. Il possédait une charrette déglinguée et plusieurs générations d’habitants de Modriča l’avaient entendu dans le petit matin pousser son célèbre : « transport en tout genre ! On charge les morts comme les vivants ! » Il habitait une étrange chaumière, dans une rue à proximité de la Maison médicale. Il avait une femme sourde-muette et un fils d’une quinzaine d’années, débile mental. Le 17 mai, quand l’armée serbe entra définitivement dans Modriča, le tzigane Ibro refusa de fuir, bien qu’il fût musulman. On n’eut pas de pitié pour lui. Les soldats serbes lui coupèrent le cou, ainsi qu’à sa femme et à son fils et , comme au « temps des Turcs », plantèrent leurs têtes sur des piquets de la palissade qui entouraient la maison. D’après ce que nous ont raconté les témoins, il y avait sur la table, dans le cour, une bouteille de raki et du café tout frais. Pour accueillir les militaires, au cas où ils viendraient .
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La télévision, elle t’aurait peut-être montré le café mais elle aurait insisté sur les têtes, avec un marmonnement du genre : « nous avons hésité à vous le montrer », et en avant la suite, on n’a pas que ça à faire, dépression sur la Corse, accalmie en Bretagne. Et tu serais resté dans ta salle à manger stupide, trois têtes sur la table. Là tu as tout - et la pureté tragique du tout : l’hospitalité accordée aux assassins.
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Le mal du monde est là depuis toujours, dans le refus de l’hospitalité, premier feu sacré de l’histoire humaine, avant même le surgissement de Dieu.
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Et il n’y a plus qu’à se taire devant l’analphabétisme grave de la télévision et de ceux qui la font.