Chère Inconnue,
l'été est intolérant. Le soleil casse les vitres. La maison boîte. Les livres poussent partout, jusque dans les couloirs, comme des mendiants experts à trouver la meilleure place. J'aurais beaucoup de choses à faire mais je ne vois rien de plus urgent que de t'écrire.
J'ignore qui vous êtes. Je sais seulement que vous avez toujours été là, dès que j'ai donné ma main à l'écriture. Vous êtes ma vie absente qui vient manger dans ma main droite.
Dans un monastère zen chaque moine, à la fin du repas, laisse quelques grains de riz dans son assiette pour les oiseaux. L'écriture est ce geste.
Ryokan disait ne pas aimer la cuisine des cuisiniers, la calligraphie des calligraphes et la poésie des poètes. Je n'ai jamais mis les pieds au Japon mais je connais très bien ce pays. Je le connais par la goutte d'eau d'un silence qui éclate sur le carrelage d'un poème de Ryokan.
Ryokan s'est nourri de Dogen qui vivait des siècles avant lui. Dogen disait que les fleuves et les montagnes sont la voie du coeur. Il le disait à sa façon. Les fleurs lui confiaient des choses étonnantes. Au bord de l'étang de Saint-Sernin, il y a des fleurs orange nommées «dormeuses». Nous sommes leur rêve. Il y a aussi des campanules qui tiennent des propos d'une douceur qui fait peur. Je ne crois pas à ce qu'on me dit. Je crois à la façon dont on me le dit.