Nous sommes des aveugles dans un palais de lumières. Des serviteurs dont nous ignorons le nom se précipitent devant nous, écartant les meubles pour nous éviter toute blessure grave.
Au Moyen-Âge dans les murs des hospices, on creusait un guichet où une mère affolée pouvait abandonner son nouveau-né. L'écriture est un guichet de papier où la vie nouvelle-née attend en confiance d'être adoptée.
L'art de vivre consiste à garder intact le sentiment de la vie et à ne jamais déserter le point d'émerveillement et de sidération qui seul permet à l'âme de voir.
Un poète, c'est joli quand un siècle a passé, que c'est mort dans la terre et vivant dans les textes. Mais quand c'est chez vous, un enfant épris d'absolu, bouclé dans sa chambre avec ses livres, comme un jeune fauve dans sa tanière enfumée par Dieu, comment l'élever ? Les enfants savent tout du ciel jusqu'au jour où ils commencent à apprendre des choses. Les poètes sont des enfants ininterrompus, des regardeurs de ciel, impossible à élever.
Je voudrais n'écrire que des livres qu'on puisse lire aux urgences, là où les questions qu'on nous pose et l'attention qu'on nous porte sont si froides qu'elles nous vident de notre âme.
Nous nous accoutumons trop vite à ce que nous avons. Dieu merci, le printemps vient parfois remettre du désordre dans tout ça, nous découvrons que nous n'avons jamais rien eu à nous et cette découverte est la chose la plus joyeuse que je connaisse.
Si nous regardions bien, si nous regardions calmement, nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là, toute bête, tout jaune. Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts. Pour être là, toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié.
[Les livres] viennent, ne l'oublions pas, des arbres. Parfois ils s'en souviennent : certaines phrases de certains livres bruissent comme les feuilles de l'acacia.
Le temps est la toupie de Dieu. Les saisons sont peintes sur son tour. La toupie tourne de plus en plus vite, jusqu'au jour où, comme si elle avait heurté un invisible obstacle, elle sort de son axe, bascule sur le côté, s'arrête : quelqu'un vient nous sortir du tourbillon de nos soucis et de peines.
Quand on regarde vraiment quelqu'un, on est devant lui comme sa mort bienveillante, on l'aide à se défaire des enveloppes qui entourent son âme et l'oppressent. Une suie de néant se dépose sur notre visage au long de notre vie. La mort est le gant de crin avec lequel Dieu nous débarbouille. L'attention commence ce travail.
Quand il me vit, d'abord il ne me reconnut pas. [Son père était atteint de la maladie d'Elzeimer -GGJ] Puis le crêpe de la maladie s'enflamma, ses yeux s'ouvrirent sur moi, son soulagement rajeunit ses traits et il avait un visage d'enfant crédule quand il me demanda : « Comment as-tu fait pour me retrouver? » Cette parole, je l'entends chaque fois que je rencontre vraiment quelqu'un.
Lire c'est débroussailler dans son âme un chemin que les ronces et les arbres effondrés ont depuis longtemps recouvert, puis avancer jusqu'à découvrir un château en ruine dont les fougères sont les princesses et les liserons les sentinelles. Une légende est attachée à ce château jadis construit par un seigneur si bon qu'il n'a voulu laisser son nom nulle part. Lire c'est rechercher ce nom dans les livres mais aussi dans les fleurs ou sur les visages : partout où passe une douceur si grande que nulle explication ne peut en être donnée.
Un enfant qui s'ennuie n'est pas très loin du paradis : il est au bord de comprendre qu'aucune activité, même celle, lumineuse, du jeu, ne vaut qu'on y consacre toute son âme. L'ennui flaire un gibier angélique dans le buisson du temps : il y a peut-être autre chose à faire dans cette vie que de s'y éparpiller en actions, s'y pavaner en paroles ou s'y trémousser en danses. La regarder, simplement.
J'écris ce livre pour tous ces gens qui ont une vie simple et très belle, mais qui finissent par en douter parce qu'on ne leur propose que du spectaculaire.
Les paroles appellent, les visages fascinent, les gestes aimantent et soudain tout ce complot du visible échoue, soudain nous devenons rêveurs c'est-à-dire ramenés à l'essentiel par la vue d'une fleur si pauvre, si proche de la terre qu'il faut presque s'agenouiller pour bien la voir et méditer sa leçon de silence.
Saisir une main, c'est à chaque fois mettre ses doigts dans une prise électrique et aussitôt connaître l'intensité qui circule sans bruit sous la peau de l'autre.
Certains êtres sont comme le lilas qui sature de son parfum, jour et nuit, l'air dans lequel il trempe, condamnant ceux qui entrent dans son cercle embaumé à éprouver aussitôt une ivresse intime qui fait s'entrechoquer, comme des verres de cristal de Bohême, les atomes de leurs âmes.
Il n'y a que le grave et l'inattendu qui peuvent offrir à nos âmes captives une ouverture sur la vie pure, et c'est ce que le monde, instinctivement, immédiatement, déteste.
Un troubadour est un homme qui chante au monde entier la grâce d'une femme inaccessible, mariée à un autre que lui, mariée, pourrait-on dire, à tous sauf à lui.
le sourire de Louise Amour survint, balayant toutes mes réticences et je fis taire en moi celui qui, depuis toujours, savait que la plus grande gloire est de n'être connu de personne.
Ce n'est pas Dieu qui est au centre de l'univers et ce n'est pas nous non plus. Ce sont seulement nos gestes quand ils sont appliqués au simple et à l'utile.
Un visage trop souvent photographié perd peu à peu son secret, et la gloire signe la disparition des personnes : triompher dans le monde, c'est avoir tout perdu.
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